Stop ou encore ?
Le côté obscur, c’est pas la première fois que je sens que j’y bascule, je crois même que je vais finir par trouver ça normal.
L’autre jour, j’étais en voiture avec homme et enfants, lorsque nous croisons un auto-stoppeur. Comme il ne reste pas la moindre place dans l’habitacle, même pour une demi-fesse d’anorexique, l’idée ne nous vient même pas à l’esprit de nous arrêter. C’est ce que j’aime avec le fait d’avoir une famille : j’ai une vraie raison de ne pas prendre les stoppeurs, je n’ai plus à m’auto-justifier. Oui, même seule dans la voiture, j’avais tendance à me sentir coupable de ne pas m’arrêter. Je ne pouvais m’empêcher de penser « Oui mais là je suis vraiment pressée… » ou « Dommage, ce n’est pas du tout ma route ! » ou encore « Ah si je n’avais pas regardé cette émission sur Michel Fourniret… ». Je ne peux pas me contenter d’un « Je n’ai absolument aucune envie de trimballer un inconnu dans ma bagnole ». Comme si pour le stoppeur, ça changeait quelque chose que je pense « Désolée » ou « Va te faire foutre ». Je suis comme ça, il faudrait peut-être que je songe à consulter.
Bref, nous croisons cet auto-stoppeur, ce que ne manquent pas d’observer les enfants, qui nous assaillent aussitôt de questions. Mais que Diable fait cet ostrogoth sur le bord de la route, muni de son panonceau indiquant une grande agglomération ? (D’accord, ils ne s’expriment pas exactement de cette façon, mais le sens est là.)
Je leur explique donc que le monsieur veut se rendre à Nantes, qu’il n’a sans doute pas de voiture, et peut-être pas assez de sous pour prendre le train, et il demande donc aux gens qui vont au même endroit que lui de bien vouloir l’y emmener. Ça me paraît simple, concis, réaliste, et l’explication semble les satisfaire.
J’aurais pu m’arrêter là et enclencher le CD de Martine à la ferme raconté par Marie-Christine Barrault, mais c’est pourtant à ce moment précis que j’ai sciemment fait un pas de l’autre côté de la ligne jaune… J’ai ajouté, sur un ton parfaitement anodin, qu’il ne fallait jamais faire ça, cela pouvant s’avérer très dangereux si l’on tombait par malchance sur des gens mal intentionnés.
Juste ça, sans m’appesantir, histoire de faire rentrer le discours sans en faire des tonnes, façon message subliminal. Coup de chance, ils ne m’ont pas demandé si je l’avais déjà fait, moi. J’aurais dit quoi ? « Oui, plusieurs fois, d’ailleurs il m’est arrivé d’avoir un peu les boules, mais surtout ne dites rien à votre grand-mère ! »
Oui, j’ai déjà fait du stop, et oui, j’ai déjà pris des auto-stoppeurs. Et je continue de croire qu’il y a dans la vie plus de gentils que de méchants.
Et j’ai toujours pensé que le jour où je passerai du côté de ceux qui ont peur, de ceux qui voient des serial-killers au bout de tous les pouces, et qui pressent le pas le soir en croisant un groupe de jeunes, ce jour-là, j’aurai sérieusement perdu un truc en route.
N’empêche, à l’époque, « Faites entrer l’accusé » n’existait pas. Et surtout, je n’avais pas d’enfant.